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Sauveur Carlus

graphiste, illustrateur, peintre, auteur, compositeur, interprète

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Très chère Maria,


vous nous avez donc quittés. Et que dire de plus ? Sinon que votre départ m’aura d’abord profondément choqué et me plonge aujourd’hui dans une immense tristesse. Des sentiments dans le fond que partagent sans doute tous ceux qui vous aiment.


Alors, si le choc m’aura d’abord rendu apathique, si votre mort m’aura aussi révolté de son injustice, si je me suis dit enfin qu’il n’y avait rien de mieux à faire au final que de me taire, pour respecter la douleur de vos proches, pour ne pas rajouter à leur peine, je me suis aussi dit soudain ceci : que j’avais eu le bonheur de croiser votre route, que vous m’aviez fait le précieux cadeau de votre amitié, que notre rencontre a revêtu pour moi, dans ma vie, un caractère presque magique ; et que tout cela en somme me donne bien la légitimité de vous écrire ce dernier mot. De vous rendre ce dernier hommage.


Mais, après tout, faudrait-il seulement trouver une raison à ce désir ? Tout à coup, oui, j’ai envie d’écrire, j’ai envie de vous offrir ces quelques mots. C’est un élan d’amour simple. Vous offrir ces mots, car c’est grâce aux mots que nous nous sommes aussi rencontrés et sur lesquels nous avons construit notre amitié et des rêves communs.


Aujourd’hui donc j’ai envie de vous écrire encore. Pour vous, bien sûr, mais aussi, peut-être, pour que tous puissent enfin découvrir un pan de votre humanité, celui en tout cas que vous m’avez donné à voir.


Oh ! je n’ai aucune prétention. Bien d’autres vous auront certainement mieux connue que moi et sauront certainement mieux parler de vous. Mais je me dis après tout que toute relation est unique. Le peu que nous avons partagé reste alors certainement unique.


Et puis, de toute façon, je pense que je dois vous écrire cette lettre, dans l’espoir qu’elle sera lue, pour que l’hommage qu’on vous rendra soit peut-être le plus complet possible, en tout cas le plus fidèle à vous-même.


Nous nous sommes rencontrés en 2003. J’avais été sélectionné pour participer au Marathon d’écriture de scenarii dans le cadre du Festival des Scénaristes de La Ciotat.


Cette année-là, vous en aviez été nommée Présidente ; et, en tant que telle, vous aviez alors imaginé une situation de départ en guise de sujet, afin que la trentaine de scénaristes choisie puisse, en deux, trois jours, s’en inspirer et écrire un scénario de court métrage.


Le sujet était le suivant : « une femme, une plage ; sur le sable, une bible. Au loin, dans le crépuscule, un bateau de pêcheurs de calamars ».


J’ai tout de suite aimé cette amorce. Parce qu’elle était un peu étrange, parce qu’elle ouvrait un champ très large, parce qu’elle nous invitait aussi à aller vers une certaine poésie. Cela venait de vous. Et ça m’a touché. D’autant plus que peu de monde pouvait imaginer justement  cela de vous…


Maria Schneider… C’est Le dernier tango à Paris. C’est le scandale, le soufre. C’est une certaine idée de la chair… Je me souviens encore de quelques réactions. J’en ai été très étonné.


J’ai alors écrit mon histoire : La sirène d’or. Une fable. L’histoire d’une femme qui possède un livre qu’elle dit sacré. La Bible du peuple des sirènes, écrite avec l’encre des calamars. Une histoire qui parle de répression, de rédemption. Une histoire avec sa violence, sa violence contenue. Une histoire poétique.


Je l’ai écrite en pensant à vous à chaque instant. Mais débarrassé de toute référence. Seul comptait pour moi le sujet de l’histoire que vous aviez donné en énoncé. Cela me donnait assez de matière pour deviner de vous tout un monde.


Mon histoire, le soir du palmarès, ne fut pas retenue.


Moi, qui doute beaucoup, curieusement, j’avais écrit ce texte dans une telle fièvre, j’avais tellement cru m’approcher au plus près de vous, comme une évidence, que je ne pus que quitter la salle au plus vite. À pas feutrés, mais vite. Je suis rentré à mon hôtel, pour me cacher. Déçu, meurtri aussi.


Le lendemain, j’ai alors su que vous étiez restée en dehors des délibérations. Le règlement imposait un premier écumage par un comité. Procédé que vous ne compreniez pas et contre lequel vous aviez voulu vous révolter.


Aucun des scenarii restants ne répondait à votre attente. Vous aviez accepté cette présidence dans l’espoir de rencontres. Et votre désir n’ayant pas été comblé, vous aviez alors laissé votre second comité élire le scénario lauréat.


Malgré tout, à la fin, et en dernier recours, vous aviez demandé à recevoir tous les autres manuscrits. Et deux jours plus tard, je recevais votre appel…


Instants magiques. Comme sait en donner sans doute le cinéma. Il est parfois des rencontres qui comptent… Mais aussi immenses douleurs. Une curieuse image m’est soudain apparue : les actrices sont comme des icebergs. On ne voit d’elles qu’une part infime, et cela trompe forcément ; et certainement cela empêche-t-il aussi, souvent, les destins de se croiser, les œuvres de se créer.


Les navigateurs qui doivent évoluer au milieu des icebergs font tout pour les éviter. Ils voient en eux d’immenses murailles glacées, des forteresses aiguisées et menaçantes. Mais les icebergs ont aussi leurs failles, leur fragilité. Détachés de tout, ils flottent entre deux mondes, et leur course est inéluctable. Un jour, ils ne sont plus.


Maria, nous nous sommes alors rencontrés, et au fil de nos divers échanges, un lien s’est tissé. Je me suis battu afin de monter ce projet de court métrage dans lequel vous aviez donc accepté de jouer.


Et vraiment, plus pour vous que pour moi, j’ai prié pour que ce projet se fasse. Vous auriez été magnifique. Vous auriez su donner tant de force au personnage de Lili, votre regard si profond, le magnétisme de vos silences…


Le projet n’a malheureusement pas pu voir le jour. Encore un regret dans une vie qui a certainement dû en compter beaucoup. Car cela semble fatalement inhérent à la vie des acteurs.


On pourrait alors se dire que cela ne sert finalement à rien d’évoquer ce qui n’existe pas. Certes… Mais comment ne pas l’évoquer pourtant, quand ces désirs avortés, ces combats ont bien été au cœur de votre existence ?


Ma petite histoire n’est finalement qu’un exemple parmi d’autres. Combien d’aventures similaires m’avez-vous conté ?


En vous écoutant ainsi me parler, j’ai réalisé combien vous aviez dû être solide pour braver tant d’adversité, autant dans l’ombre d’ailleurs que dans la lumière…


Je vous entends encore évoquer vos voyages, l’Italie, votre amour de l’océan, vos souvenirs de tournage, vos coups de cœur, vos coups de gueule, vos espoirs… J’entends encore votre voix grave, je souris encore avec vous du regard plein de lucidité, parfois même teinté d’un humour désopilant, que vous portiez sur votre métier et les épreuves passées.


Enfin, je me revois encore, dans le flot de nos conversations, vous regarder parfois me parler ainsi, et prendre soudain conscience de cet instant ; et me dire alors que j’étais là avec vous, tout simplement, en train de partager un moment de vie, simple et chaleureux. Cela m’a toujours paru incroyable.


Vous, immense actrice, vous me parliez, vous sembliez apprécier ma compagnie, moi qui, face à vous, ne suis rien.


Oui… finalement, je ne suis peut-être pas mieux que les marins face aux icebergs. Je m’illusionne de leur froideur, j’ai peur de leurs remparts…


Maria, aujourd’hui tout est fini. Et si les mots nous ont réunis, voyez, comme en écrivant ces lignes, curieusement, je vous donne des mots qui nous éloignent de cette vérité. J’aimerais en effet pouvoir trouver les mots les plus justes, les mots soudain les plus crus pour saisir toute l’étrange violence de votre brutale absence, de cette maladie qui aura eu raison de vous.


Vous avez été pour moi tout un monde. Je vous ai imaginée presque sirène. Vous le serez pour de bon à présent dans mon cœur. Mais je ne me leurre pas. Malgré la foi, malgré l’envie d’y croire.


Toujours avec votre humour saisissant, vous aimiez me citer un vers d’une chanson de François Valéry, comme on cite un auteur classique : « aimons-nous vivants, n’attendons pas que la mort nous trouve du talent »…


Alors, je vous imagine aisément en train de sourire en ce moment même. Peut-être trouverez- vous en effet ridicule, un peu vain, un peu tardif, cet hommage qu’aujourd’hui on vous rend. Mais peut-être en serez-vous aussi touchée. En tout cas, j’espère que mes mots vous parviendront, une fois de plus, et sauront contribuer, certes modestement, mais encore un peu plus loin, à porter et répandre toute votre mémoire.


Maria, je vous embrasse très très fort.


Merci encore de votre amitié. Merci de m’avoir aimé. Je vous aime.

Affiche

Story board

Hommage à Maria

Scénario

Scénario La sirène d'or