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Sauveur Carlus

graphiste, illustrateur, peintre, auteur, compositeur, interprète

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Étincelle

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- Numéro 27, rue du Faubourg Saint-Honoré…



- Nous sommes au 240.


- Quoi ? Pourtant le guichetier du métro nous a bien conseillé de descendre à la Place de l’Étoile. Je ne suis pas folle !



- Pas de panique. Il suffit de remonter la rue. Il n’y a pas d’autre choix.




Comme elle avait cette fois deux gros sacs lourds à transporter, Soria m’a demandé de l’accompagner à une animation. Elle aimerait aussi me former afin que j’anime moi-même par la suite des goûters d’anniversaire et me fasse ainsi un peu d’argent. Mais il semblerait qu’aujourd’hui tout ait décidé d’aller de travers puisque pour une armada de raisons diverses nous sommes en retard et que, pour couronner le tout, nous sommes maintenant, juste à vingt minutes de commencer, à mille lieues de l’adresse exacte où nous devons nous rendre.


Nous nous sommes mis à courir sur le trottoir. Et, avec l’énorme étui contenant le castelet, dont Soria se sert pour son spectacle de marionnettes et qu’elle porte à présent en bandoulière sur son dos, et les deux gigantesques sacs pleins de cadeaux pour les enfants et des atours de la fée que j’essaie de véhiculer tant bien que mal, nous devons paraître bien étranges aux yeux des bourgeoises légères qui traînent le pas devant les boutiques aux prix phénoménaux et que nous bousculons bien malgré nous.


- 216, 214…



- 152, 150… Sauveur, on va y arriver.



Nous ne nous arrêtons pas. Nous ne maîtrisons plus nos jambes élancées. Nous transpirons sous nos manteaux et nous n’écoutons pas les caprices de nos cœurs qui s’emballent et de nos muscles qui se tendent. Nous ne voyons plus rien autour de nous, ni le regard impassible ou intrigué des gendarmes, ni même la crotte qu’un chien aurait eu la provocation de laisser sur son passage et qui menacerait donc nos semelles. Tout se dissout et s’abstrait derrière notre unique obsession de voir défiler une multitude de numéros en contre sens. C’est magique.


Il est des images dont la poésie nous est si personnelle qu’y apposer des mots est un labeur aventureux. Tout à coup, dans cette course si intense qu’il n’y a plus de place pour réfléchir, ma pensée semble plus forte et se débride. Je nous vois glisser à une vitesse folle et braver tous les obstacles dans une rue qui n’en finit pas, tel un corridor virtuel dans un jeu électronique.


L’appel d’air d’une fissure nous a happés, nous avons chuté dans une galerie souterraine et atterri dans la sixième dimension. Je te suis à présent, à perdre haleine, à travers les dédales du pays des merveilles. Les chimères de Notre-Dame hurlent à la lune pleine, les bas-reliefs se délivrent du joug de la pierre et une armée d’elfes multicolores envahit les parcs, les cours et réveille les cimetières. Nous fuyons le fantôme qui hante l’Opéra, évitons les trous noirs des porches étroits d’où des criminels pourraient surgir, et tentons de reprendre un instant notre souffle en nous abritant sous les arcades de la rue de Rivoli. L’entrée des artistes, on évacue Molière au seuil de sa mort, la place de Grève dans une fureur apocalyptique, on exécute sans pitié les anarchistes… Sur un pont, deux amoureux s’échangent un dernier baiser, dans un atelier sous les toits, un peintre sombre dans sa folie de n’avoir pas su atteindre la perfection, dans le confort cramoisi d’un salon, un esprit immoraliste s’épanche sur un pamphlet… Plus rien ne va, les sentiments s’exacerbent, la Révolution gronde. Un siècle s’illumine, un autre saigne. Et dans ce tourbillon romanesque, j’essaie de ne pas m’égarer en m’accrochant désespérément à tes jupons.


- 27 !



Ce nombre tombe comme la lame d’une guillotine. Je dois admettre tout à coup que je suis un être réel et de mon temps. Cependant, si j’arrive bien après que l’encre ait coulé, il suffit de te regarder, Soria, les cheveux en bataille et la respiration chaotique, en train d’affronter déjà les hauts escaliers de cet hôtel particulier, pour comprendre que toi, tu viens bien d’une autre époque. Je ne sais pas qui tu es et sans doute ne le saurai-je jamais. Je réalise seulement qu’en m’ayant accepté dans ta vie tu es devenue pour moi un guide et que les clefs que tu me donnes ouvrent des mondes inépuisables.

Couverture

Extrait 2 : course effrénée dans Paris

Extrait 3 : errance parisienne

Extrait 5 : tournage de Pimprenelle

Extrait 4 : horreur et magie londoniennes

Extrait 1 : les charmes de l'âtre