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Sauveur Carlus

graphiste, illustrateur, peintre, auteur, compositeur, interprète

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Prisonniers d'une étoile

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Couverture

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

L'arrivée au manoir

L'incendie du manoir

Souviens-toi ! Le poème, c’est bien ta main qui l’a écrit, sois-en sûr. Si tu ne peux pas y croire, c’est que seul ton esprit était en éveil à ce moment-là. Ton corps dormait. Oui, ton corps dort, contrairement à ce que tu imagines. C’est ton esprit qui garde les yeux écarquillés toute la nuit durant. Je suis ton esprit. C’est moi qui t’ai dicté ce poème. Souviens-toi, enfin, de ce soir, il y a vingt-cinq ans, où j’ai, où tu…, où nous avons écrit ce texte pour la première fois.


Ton corps n’est rien. L’essence d’un être est concentrée dans son esprit. Tu dois t’abstraire de ta chair, apprendre à voir au-delà d’elle. Qui es-tu ? Le sais-tu ? Tu es moi, tu es Divine, La Divine, celle qui a chanté, celle qui a bercé tout un peuple de mélopées sincères et profondes, celle qui a saupoudré d’étoiles le cœur de toute une génération. Ouvre tes sens. Si tu acceptes cette vérité, tu t’accepteras toi-même. Et toute ta vie s’éclairera soudain.

 

Je ne sais plus quoi faire. J’ai beau lui parler, aucune réaction. J’ai beau lui susurrer de longs discours au creux de l’oreille, ce corps reste figé dans son obscurantisme. J’ai même essayé, l’autre soir, de le secouer. Rien. Il continuait de dormir. Pire, il a même ronflé. Laissez-moi rire. Et dire que ce garçon pense être victime d’insomnies. Je n’ai jamais vu sommeil aussi lourd. Quand enfin comprendra-t-il que lui et moi, nous ne faisons qu’un, à mon grand regret d’ailleurs, et que s’il croit rester éveillé, c’est que c’est moi qui compte les moutons ?


Je suis dépitée. Jusque-là, tous mes efforts ont été vains. Je pensais que me libérer du joug charnel allait être plus facile. Il est impératif que mon nouveau corps entre en communion avec moi, si je veux redevenir un être à part entière, si je veux reprendre, là où je l’avais interrompu, le cours de ma vie. Ma mission, c’est écrire, c’est chanter, c’est danser… J’ai encore tant à donner.


Toutes mes paroles se sont jusqu’ici heurtées à un mur. Le mur, c’est lui, ce Paul… Quel nom commun ! Voilà un exemple parfait qui démontre bien qu’un nom résume toujours en un mot toute une personnalité…


Ah ! La vie semble avoir voulu me remettre à l’épreuve. Juste pour ce plaisir sans doute de me voir œuvrer comme une bête de somme afin de ressaisir à la force du poignet tout ce que j’avais acquis, mais que, pour l’instant, j’ai perdu. Eh bien, soit ! J’y parviendrai. Je ne sais ni trop comment, ni surtout quand, je l’avoue, mais j’y parviendrai. Le combat est mon sacerdoce. Je l’ai gagné, la vie dernière ; je le regagnerai cette vie-ci.


Faisons le point. Paul a vingt ans. Un peu plus jeune que ma mort. Il a donc toute la vie devant lui. Chouette ! Je bénéficie d’un bon tas d’années pour créer de nouveau. Cependant, c’est maintenant que tout se joue. Le temps est un savant illusionniste. Je sais cela fort bien à présent. Le temps nous fait croire qu’on a le temps et, du jour au lendemain, il est déjà trop tard. Aussi faut-il que je réussisse à réveiller Paul très vite, si je ne veux pas en être réduite à subir sa plate existence jusqu’à sa mort, si je ne veux pas attendre en soi toute une vie pour pouvoir enfin ricocher encore une fois dans un autre corps.


Je sais enfin l’enjeu des passages ici-bas. Ressusciter, c’est revenir meilleur. Si je m’en réfère alors à ma vie précédente, je ne comprends pas pourquoi je ne ferais pas de Paul un être d’exception. Il est l’élu. Son heure de gloire ne peut que sonner.


Oui, pour l’instant, il n’y a rien de bien folichon. Paul est un vendeur minable dans une boutique du quartier des Halles. Quoi ? Avant de devenir célèbre, moi aussi, j’ai vendu des chaussures sur les marchés ! Alors, tout espoir reste permis. Ne nous affolons pas.


Un point d’ailleurs me rassure. Paul n’aime pas son travail. Il rêve souvent au milieu de ses rayons. Même s’il est loin de mesurer l’importance de cela, il a su façonner autour de lui une bulle pleine d’une intéressante faune de songes. Paul croit aux fantômes. C’est donc un faux désenchanté. Parce que sinon il ne croirait en rien et ne verrait rien d’autre que la simple face grisâtre de sa vie sans horizon. Il exècre son existence. C’est un avantage. Se rejeter soi-même permet parfois de s’administrer un bon coup de fouet. Loque humaine ? Non. Je suis certaine que Paul n’en a que l’apparence. Au fond de lui un noyau d’énergie attend de se raviver comme des braises sous les cendres. J’ai commandé à sa main d’écrire un poème : Mariage est deuil. Ce texte a d’ailleurs su magnifiquement ouvrir en Paul une brèche, car Paul a semblé quelque peu préoccupé par cette affaire. Il faut donc que je persévère. Je dois de toute façon m’imposer à lui coûte que coûte. Il va enfin finir par comprendre. Il va finir par me voir. Je vais dès demain passer à la seconde phase de mon plan d’attaque. Oui ! Paul devrait recevoir un de ces chocs... J’ai hâte.