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Sauveur Carlus

graphiste, illustrateur, peintre, auteur, compositeur, interprète

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Étincelle

La clarté rougeoyante de l’âtre inonde à présent tout l’espace. Nous sommes blottis l’un contre l’autre devant la cheminée au milieu d’un ballet d’ombres virevoltantes. Soudain, je pense aux musiciens sur la plage, à la gitane presque nue sous une nuit sans lune, à la magie de Noël aussi et à tous les misérables. Dedans, l’opulence, dehors, la faim, le froid et l’errance… Les flammes tremblent devant mes yeux et m’hypnotisent. Je me laisse alors emporter dans leur valse.


Nous sommes des sujets de Vermeer, Le Lorrain ou Rembrandt. Nous sommes un logis flamand, une minuscule fenêtre éclairée dans l’obscurité balayée par la neige, nous truquons une partie de cartes, manigançons un guet-apens ou élaborons une intrigue pour mettre à jour le secret d’une alcôve. Nous sommes tour à tour marquis, confidents, bouffons, contrebandiers, bandits de grand chemin… Dans le clair-obscur, les esprits s’éveillent. Dans la profondeur nocturne d’une forêt inextricable, le sabbat entame son chant d’ouverture. Les volcans s’extirpent d’une apathie millénaire, les forgerons excités de l’enfer refont surface en célébrant l’ère nouvelle à grand renfort de cris stridents, et les pauvres servantes n’ont plus qu’à pleurer dans les tisons le souvenir d’un prince imaginaire.


Je ne suis déjà plus de ce monde. Je n’ai plus que cette conscience, Soria, de t’avoir à mes côtés. Et toi, à quoi est-ce que tu penses ? Tes yeux fixent un point que je ne peux pas voir. Ton silence s’égorge de mots que je ne peux pas lire. Il est des heures où même le meilleur ami reste à la porte des songes.


Il me vient alors une idée. Soria, nous pourrions rester là, assis côte à côte, sans nous opposer à la progression vorace des flammes. Celles-ci grimperaient le long des rideaux, crameraient les dentelles. La famille, l’enfance et toute notre mémoire encadrées sur nos murs verraient leur verre protecteur se fendre et péter et se recroquevilleraient avant de disparaître à jamais. Les ustensiles de cuisine rougiraient et fondraient, les miroirs noirciraient et éclateraient, les livres se consumeraient en un magnifique autodafé. De son épaisseur illusoire alors, de temps à autre, une page s’échapperait en un vol éphémère pour retomber dans l’instant même en poudre d’écriture. Dans un vacarme de tous les diables, toute notre vie se libèrerait. Le feu infernal ramollirait les barreaux de notre prison, les murs s’écrouleraient, les vitres exploseraient et la fumée s’élèverait jusqu’au ciel. Maintenant, les langues incandescentes du dragon affamé lècheraient notre chair. La chaleur nous piquerait, nous mordrait, nous tétaniserait. Nous suffoquerions. Notre sang bouillirait et s’évaporerait. Il suffirait que nous trouvions notre vie incurablement laide pour que nous donnions alors à notre mort une éblouissante beauté. Entends-tu à présent dans le rugissement du bûcher le rire démoniaque des sorcières insoumises ? C’est un feu d’artifice, un bouquet crématoire, une irruption de joie et de cervelle. Ce serait notre dernière vision et notre cendre aurait alors un sourire béat aux lèvres.


Car que ne donnerais-je pas à cette heure pour un seul de tes sourires… Je me désaltère de ton visage mais je ne bois que ta tristesse. Je pourrais sur-le-champ donner mon âme en pâture si cela suffisait à te combler. Soria, j’espère quand tu espères, j’expire quand tu inspires et, comme ce soir, je me fane de désespoir quand toutes tes attentes sont vaines. Je pourrais alors te dire que le temps ne meurt pas sans d’abord nous façonner, qu’à partir de l’instant où la vie nous donne à nous unir, restera toujours active une veilleuse d’espoir et que de cette lanterne tout pourra renaître. D’une seule flamme rescapée d’un incendie ou d’une foudre, des hommes encore sauvages ont conquis le savoir. Soria, en se frottant l’une contre l’autre, nos deux énergies ont donné l’étincelle. Nous sommes à présent l’écrivain qui se courbe à la lueur de sa chandelle, et seules la patience et la délectation sans cesse renouvelées nous prépareront dès lors à un accouchement sans encombre.


Tout à coup, tu brises ton silence :


« La vie est belle, Sauveur. »


Je reste suspendu étrangement à ces mots de toi auxquels je ne m’attendais pas. Je te regarde et tente de retrouver en toi le cheminement de cette pensée que tu viens ainsi de traduire. Je ne vois rien et accepte alors ce constat troublant de vérité. «  Oui Soria, la vie est belle » ai-je envie de te répondre. Et notre vie sera plus belle encore. Je t’en fais la promesse sacrée.

Couverture

Extrait 1 : les charmes de l'âtre

Extrait 3 : errance parisienne

Extrait 5 : tournage de Pimprenelle

Extrait 4 : horreur et magie londoniennes

Extrait 2 : course effrénée dans Paris